Estelle Chrétien

En résidence aux RAVI d’août à septembre 2024

On pourrait dire que, pour cette résidence, Estelle Chrétien s’est jetée à l’eau. Originaire de Nancy, où la Meuse caresse la ville, l’artiste a très naturellement porté son attention sur ce cours d’eau en tant qu’élément naturel capable de façonner les paysages, mais aussi en tant que vecteur de déplacements symboliques, matériels et culturels. Au cœur de sa réflexion et du travail qui en ressort émerge le « lien » sous ses diverses acceptions : le lien entre les villes, en tant qu’axe de communication, le lien social que crée un cours d’eau entre les habitants dans un espace déterminé, mais surtout le lien éminemment personnel qui unit Liège, lieu de résidence de l’artiste, à Nancy, son lieu de vie. Le fleuve est comme importé et transposé en les murs de l’atelier, sans être directement montré. Sa présence s’incarne plutôt sous une forme métaphorique, telle une bribe de territoire matérialisée au travers de propositions surprenantes et hétéroclites. L’artiste décline cette thématique dans un registre de thèmes et de formes variés, à l’instar de cette sculpture en osier réalisée grâce à la technique de la vannerie où un personnage à la croisée d’un scaphandre et d’une nasse à poissons s’impose spatialement. Mais plus subtilement encore, l’eau se dissimule et unit chacune des propositions : qu’il s’agisse du dessin au crayon aquarelle, à la peinture, à l’humidification des tiges d’osier, nécessaire au tressage des tiges d’osier ; l’eau est présente à tous les niveaux et rend possible l’expression de nouvelles formes. Des formes qui, d’ailleurs, (ra)mènent toujours à l’eau : les petites peintures sur toile rappellent la nage, tout comme le maillot de bain décoré de curieux canards en laiton glanés sur la brocante de Saint-Pholien. La toile de plus grand format donne à voir le fragment du corps d’un spécimen aquatique dont le mouvement rappelle curieusement le méandre d’un cours d’eau. Le dessin énigmatique réalisé au crayon avec l’inscription « Boire » évoque le geste ancestral qui permet la vie. Une cartographie des affluents et confluents de la Meuse est brodée sur une taie d’oreiller, comme si la Meuse retournait dans son lit, dessinant et fabriquant subtilement le paysage, même lorsqu’elle semble dormir. Ces circonvolutions font aussi penser à des racines et rappellent le lien consubstantiel qui uni tout être vivant à son berceau naturel.

« Mon travail plastique naît lentement en gauillant, c’est-à-dire en s’amusant dans l’eau ou dans la boue ou, en s’enfonçant dans un sol détrempé́ », confie-t-elle. L’eau a donc toujours été là. Habituée à travailler dans des sites naturels comme dans des espaces clos, le travail d’Estelle Chrétien s’apparente ce que l’on pourrait qualifier de « minimalisme résilient ». Car il est souvent question du devenir-paysage, à l’extérieur, quand l’art s’adapte à ses contraintes pour faire corps avec lui ; mais aussi à l’intérieur, lorsqu’elle l’évoque (in)directement en « jouant » avec lui et grâce à lui. Se dessine alors l’une des constantes de l’œuvre d’Estelle Chrétien, qu’à mise en évidence Paul Adrenne par l’expression d’ « art naturaliste », en ce sens que le naturalisme ne traduit aucune volonté de puissance, mais bien un état de la sensibilité et une ouverture majeure de la conscience. Créer de manière « naturaliste » implique de s’ouvrir à l’environnement en le dénaturant le moins possible, au sens propre (le respecter) comme figuré (le représenter). Estelle Chrétien investigue ainsi le champ de l’art en opérant une réflexion cohérente et résiliente sur les éléments naturels qui le composent, en dialoguant avec eux, à leur mesure et avec leurs moyens propres, dans un rapport de réciprocité non dénué d’humour et d’espièglerie.

Camille Hoffsummer

Lever le pied, 2024, coquilles d’escargots